Trois modèles pédagogiques
Comment aider l'adolescent à rencontrer des valeurs ?
Claude DEMISSY
1- L'autostructuration* de la connaissance : la vie en débat

Cette démarche pédagogique part de la personnalité du catéchumène et cherche, en général, à valoriser le vécu du groupe.

Les pédagogies sensibles à l'autostructuration de la connaissance postulent que:

Rien ne se fait sans désir. Imposer quoi que ce soit au sujet s'il n'en manifeste pas le désir, c'est s'exposer au refus ou engendrer le rejet.

Pour aider quelqu'un, il faut d'abord l'écouter et lui communiquer, par la confiance qu'on lui témoigne, la détermination nécessaire pour qu'il trouve en lui-même les ressources pour surmonter ses problèmes.

On n'apprend rien que l'on n'a pas soi-même redécouvert et reconstruit. Les seuls apprentissages qui comptent sont ceux que le sujet effectue activement, selon sa propre démarche, en affrontant les difficultés qu'il rencontre pour les dépasser.

Le pédagogue se présente au groupe avec une feuille vide et la remplit au cours de la rencontre grâce aux apports des élèves.

Cette catéchèse peut susciter des questionnements chez l'adolescent, elle met sa vie en scène pour éveiller son attention. Elle tient compte des centres d'intérêts des adolescents sans en être otage. Les questions existentielles des jeunes varient en effet au gré des jours de façon relativement erratique. De plus, à trop suivre l'adolescent, la catéchèse devient une caution d'arrière-garde entérinant des découvertes faites sans références religieuses explicites. Enfin l'adolescent ne peut acquérir une pensée autonome à partir de rien. Par conséquent, cette pédagogie mettra en scène, sous forme ludique, des questions existentielles. Les catéchumènes peuvent alors s'exprimer et prendre position par rapport aux affirmations protestantes de notre temps. Le catéchète organise le débat et n'exclut pas de changer ses propres représentations.

Par exemple, le pasteur Baumann** a proposé à ses catéchumènes une compétition sportive entre catéchumènes et handicapés. Les catéchumènes, surpris par les capacités des handicapés , remettent en cause une partie de leurs préjugés. S'ensuivent une rencontre-débat et un culte.

2- L'hétérostructuration* de la connaissance : le débat autour du savoir

Cette démarche pédagogique se préoccupe d'abord du contenu de la matière à enseigner. Elle se soucie d'apporter aux catéchumènes des savoirs, savoir-faire ou savoir-être qui leur seront utiles.

Les pédagogies sensibles à l'autostructuration de la connaissance postulent que :

On ne peut désirer ce que l'on ignore ; on ne peut aimer ce que l'on ne connaît pas. Attendre l'émergence du désir, c'est renvoyer à l'inégalité.

Pour aider quelqu'un, il faut lui fournir des informations et des outils intellectuels lui permettant de se comprendre et de comprendre la situation dans laquelle il se trouve. Faire l'économie d'un apport extérieur et ne renvoyer le sujet qu'à lui-même c'est le nourrir d'illusions narcissiques et l'enfermer dans ses difficultés.

Tout véritable apprentissage exige une rupture avec d'anciennes représentations ou des préjugés antérieurs. Il requiert donc une intervention extérieure ou une situation particulière qui contraignent le sujet à modifier son système de pensée.

Le pédagogue se présente au groupe avec une feuille pleine et en vide le contenu sur les élèves.

Cependant l'hétérostructuration risque de plonger le catéchumène dans un monde qui ne signifie rien pour lui. Le catéchète se contente alors de décorer pédagogiquement la théologie pour répondre à des questions que les catéchumènes ne se posent pas. Pour qu'une démarche d'hétérostructuration soit efficace, il est nécessaire de mettre la théologie en scène, en proposant aux catéchumènes des situations où ils ne sont pas simplement auditeurs mais où ils deviennent acteurs du catéchisme.

Le pédagogue doit en effet éviter de se focaliser sur l'acquisition d'un bagage cognitif qui ne signifie rien pour le catéchumène. Sinon "il perdra un temps fou pour essayer d'obtenir d'un pauvre diable qu'il récite une liste qu'il aura oubliée deux mois après"***.

Par exemple, le pasteur Baumann propose le jeu suivant :
Le trésor d'une ancienne population est découvert sur une île : Il s'agit d'un petit livre d'histoires "pour faire de la vie une fête". Ce livre est une anthologie de textes bibliques, mais les catéchumènes ne le savent pas. Le pédagogue propose alors une série d'animations diversifiées qui permettent au catéchumène d'aborder le texte biblique de façon vivante.Celui-ci redevient ainsi témoignage de vie et sa légitimité n'est pas décrétée arbitrairement par une autorité extérieure au catéchumène.

3- L'interstructuration* de la connaissance : le savoir éclairé par la vie et la vie éclairée par le savoir

Notre démarche pédagogique cherche à valoriser la personnalité de l'élève tout en se souciant du contenu de la matière à enseigner.

Louis NOT* propose de dépasser cette opposition par une démarche pédagogique d'interstructuration de la connaissance. Cette démarche postule que le processus d'individualisation est fondamental pour la construction du sujet. Mais le sujet n'est pas une individualité pure. Il se construit et vit toujours en relation avec la société, notamment avec la culture qui lui préexiste. Il s'agit donc de trouver un équilibre.

Quel que soit son âge, un jeune a besoin de s'affirmer par des victoires. L'éducation doit donc proposer à l'élève des objectifs difficiles, les maîtriser sera considéré comme une victoire. Ils doivent cependant rester accessibles afin de permettre au catéchumène de triompher seul de la difficulté. Toute aide venue de l'extérieur le frustrera de sa victoire.

L'éducation, c'est la mise en œuvre de moyens permettant à l'élève de se transformer. Le terme de cette transformation est défini par les finalités de l'action éducative. Elles désirent l'épanouissement maximum de l'élève. Une éducation fondée sur l'interstructuration de l'apprenant et de l'objet d'apprentissage libère l'élève d'une tutelle contraignante. Elle lui permet d'accroître simultanément son savoir et son savoir-être.

Le pédagogue se présente au groupe avec une feuille pleine et a préparé une série d'activités pour transformer, avec le groupe, le contenu de cette feuille.

Du point de vue de la catéchèse, il s'agit de permettre aux catéchumènes de mieux connaître le dogme, pour mieux perturber le dogmatisme. Ceci implique que l'on se soucie à la fois de provoquer chez les catéchumènes de l'intérêt pour ce que l'Église a à dire et à la fois de créer chez eux le désir d'intervenir dans ce que l'Église dit. Un des moyens pour développer une pédagogie interstructurante est de proposer alternativement des objectifs pédagogiques d'hétérostructuration et d'autostructuration. En particulier, le pédagogue veillera à faire varier systématiquement les degrés de complexité des activités proposées aux catéchumènes.

Cette démarche 'est un va-et-vient. Elle fait entrer le catéchumène dans le monde théologique protestant et lui propose d'en débattre et de se positionner. Elle suscite l'expression des catéchumènes sur leurs sujets de préoccupation, organise les échanges entre eux et leur propose un éclairage protestant comme élément de cet échange. Les catéchumènes doivent participer au dialogue continuel entre la vie et la théologie. Le catéchète n'hésite pas à utiliser le langage de la fantaisie, de l'imagination et de l'humour.

Par exemple, pour le dossier "La prière", cette démarche comprendra : j'ai envie de dire certaines choses à Dieu, d'autres l'ont fait avant moi, Dieu a promis de nous écouter et il m'appelle à écouter les autres, je suis attentif aux réponses de Dieu et je participe à son projet pour l'humanité, je cherche à comprendre le Notre Père et à vérifier sa pertinence pour ma vie, j'écris des prières pour moi et pour les autres, je compose des prières seul ou avec les autres.

4- Entre la vie et le savoir : une catéchèse équilibrée

Aucun catéchisme n'a une ligne pure, ce qui est normal car la réalité didactique est fort complexe. Toute démarche pédagogique doit être équilibrée, simplement certaines démarches catéchétiques sont plus orientées vers l'une ou l'autre de ces lignes.Quelle que soit la ligne dominante de la pédagogie, il faut tenir compte de la remarque de P.L. DUBIED***, précédemment cité. Les catéchumènes ne sont pas obligatoirement consciencieux, intéressés a priori par la matière, extraordinairement sages, érudits, curieux, bienveillants à l'égard de leur catéchète et... croyants !

La difficulté consiste donc à rejoindre le catéchumène là où il se trouve en l'invitant à être ailleurs. En catéchèse, I'objet de l'apprentissage n'est pas seulement un savoir sur les choses mais aussi une capacité à faire des choix. Le catéchète doit devenir le partenaire du catéchumène dans son cheminement veres des compréhensions nouvelles.

C'est pourquoi nous avons cherché à développer les jeux et la fiction et à inventer des techniques de travail qui aident les catéchumènes à réfléchir sur leurs convictions a en développant des stratégies d'irruption de l'inattendu, de rupture logique, de mise en concurrence de la raison et du cœur "**.

*Louis NOT, Les pédagogies de la connaissance, Privat, Toulouse 1979
**Maurice BAUMANN. Jésus à 15 ans, Labor et Fides Genève, 1993

*** Remarques de P. L. DUBIED lors du colloque des a,3 et 4 juin 1993 à Strasbourg.
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